
Vincent Galy
Je suis tombée sur mes journaux intimes d’adolescente. Quatre années d’écriture assidue, relatant le moindre événement extraordinaire type baiser derrière le self, ou trahison suprême de meilleure amie sur fond de brevet blanc.
Avec ces lectures, c’est une farandole de souvenirs gênants qui sont remontés à la surface. La première galoche dans les escaliers du collège, et ce Stoptou que je venais de bouffer, ma langue complètement anesthésiée par toute cette réglisse, le garçon avec un appareil dentaire, mon appareil dentaire, et ces questions existentielles « on va pas se coincer ? », le tournage de langue dans un sens pré étudié, les copains en guise de public et les commentaires, le con de la bande qui fout son doigt au milieu de la soupe de langue, parfois ça partait en foursome et un autre couple se joignait aux festivités, le recul de trois mètres de distance physique après la soupe, chacun se barrant avec sa bande dans un coin du bahut, même pas un regard échangé avec l’être aimé, juste de la soupe, de la soupe et de la soupe.
Les journaux s’étalent de la quatrième à la première. J’ai dévoré ça comme une saga de roman mal écrit et un peu culcul, sauf que je connaissais déjà la fin de l’histoire. Quand mon premier amant, enfin celui avec qui j’ai couché pour la première fois (amant est un bien grand mot pour ce fils de catin), est entré en scène dans le cahier, j’étais toute chose. J’avais envie de me gueuler :
RUN, LOLA, RUN ! BARRE TOI DE LÀ AVANT QU’IL NE SOIT TROP TARD ! CE MEC EST UN SALAUD !
M’enfin, l’issue était inéluctable. En plus, ça prend des mois. La meuf tombe amoureuse, elle ne sait pas si lui aussi. Ça se cherche, ça fait des soirées vodka manzana, ça se fait des bisous volés, ça s’insulte. Elle a le coeur brisé quand il sort avec une autre nana. Elle recopie les messages échangés avec le garçon sur MSN. Puis, le revoilà, avec sa vodka manzana, il lui fait croire qu’elle est précieuse. Elle n’en peut plus d’amour.
Tu vas passer à la casserole bébé, que je me disais en lisant les pavés.
Puis voilà, le grand jour arrive. C’est pas terrible-terrible mais enfin, c’est fait. Elle se sent femme, elle se sent changée, elle se sent aimée. Le lendemain, elle a 17 ans tout pile. Il ne lui souhaite pas, il l’ignore même. S’en suivra une longue série de déception.
Bon, de toute façon c’est pas compliqué. Tout est toujours affaire de mec, tout au long de ces putain de cahiers. À croire que les hommes ont toujours régi ma vie. Ou que j’ai toujours régi la leur, d’ailleurs . Mais c’est drôle de voir à quel point on a changé, et en même temps, pas tant que ça.
J’ai découvert que certains auteurs que j’aime bien ont participé à un bouquin intitulé « Lettre à l’adolescent que j’ai été ». Ça m’a donné envie de tester l’exercice. Quel message voudrais-je faire passer à mon moi de 17 ans ?
« Lola,
T’inquiètes pas, pour commencer. Pour l’instant, tu t’en sors pas si mal que ça, et finalement, physiquement, faudra juste penser à arrêter le Nutella.
Bon, allons droit au but, puisqu’il semble qu’une seule chose ne t’intéresse. Pas de panique, les hommes te malmènent pour le moment, mais ça ne durera pas. Ils vont manger ces enfoirés. À un moment, ta féminité va t’exploser à la tronche. Ça va te faire tout bizarre, et aux hommes aussi. Bon après, t’emballes pas, t’auras pas plus de nibard qu’aujourd’hui, mais disons que tu découvriras comment compenser.
Mais t’en fais pas bébé, ils seront (presque) tous fantastiques, et ils sauront (presque) tous lire. Rien à voir avec ce cornichon de mec de qui tu t’es entichée. Cette grosse merde.
D’ailleurs, le cul c’est pas trop ça non plus en ce moment. Je sais. Ça va venir aussi. Ce batard t’a pris ta virginité, pas ta sexualité. Ces premières léchouilles sont loin d’être un avant goût de ce qui t’attend. Y’en a même un qui saura comment t’enlever tes chaussures, c’est dire.
Tu rêvais de liberté. Les gosses n’étaient pas trop ta priorité. Ben, tu vas pas être déçue. En même temps, je lis que le 24 juin 2004, t’as fait soirée à Rio Loco avec Suzette et Martine, que vous avez bu une bouteille de Gin Tonic et que t’as pécho un mec dans la foule en mode « toi, c’est le plus beau jour de ta vie, viens faire un tour au paradis ». Ouais ben, y’a pas eu trop de mouvement jusqu’à maintenant. Je te laisse libre d’apprécier cette non-évolution. Mais sache que la trentenaire que tu es le vit bien.
Le prince charmant ? Allons, Lola, t’as plus 10 ans, ressaisis-toi. Il n’y a pas de prince charmant, il y a DES princes charmants. Des princes sexy, des princes drôles, des princes qui ont une 106 green, des princes engagés, des princes qui sont là au bon moment, des princes intelligents, des princes qui savent lire, des princes tristes, des princes qui te font picoler, des grands princes, et des petits, des princes exotiques, des princes beaux comme le jour, des princes amoureux, des princes machos, des princes tendres, des princes solitaires, des princes mystérieux, des princes aux baisers langoureux, et des princes qui aiment l’odeur de tes cheveux.
Bon, et puis laisse tomber la vodka manzana, sérieusement. T’as pas compris que si tu bégère partout c’est parce que c’est dégueulasse ?
Oh, et puis change rien va. La vie est belle comme ça. »