
© Vincent Galy
C’est la rentrée. Putain, ça me rend malade ça. Y’a un type qu’a décidé qu’à partir de septembre, c’était fini la belle vie, retour au turbin, prends ta bagnole, gueule sur ton rétro, va faire les courses, remets un jean, achète un agenda, regarde la télé, pense aux vacances de la Toussaint. Et nous, on est là « Ok d’accord ».
Et vazy. Tout le monde en même temps. On refout nos baskets, on reprend nos petits sacs à main, on se fait couper les cheveux, on subit les photos de Lili, Lala et Léo avec leurs nouveaux cartables sur tous les réseaux sociaux.
Voilà. Tous en même temps. Contents, conscients et consentants. On reprend nos activités de cons là où on les a laissées.
JE NE SUIS PAS D’ACCORD.
Qui a décidé de la date ? J’étais pas là quand on a voté. Déjà, l’été, ça se termine le 21 septembre. Jusque-là, je ne veux pas entendre parler de jean, que les choses soient claires.
Oui, bon, au cas où vous n’auriez pas compris, je suis rentrée à Toulouse, après trois mois en Corse. Et je me fais déjà chier. J’étais pas préparée à balarguer mon poum poum short au vestiaire. J’arrivais sereine, les cheveux encore plein de monoï, le multipla fourré aux pines de pins, la trace de maillot au cul. Quand soudain, j’ai pris une rame de métro dans la tronche.
C’est la rentrée bordel de cul. Et j’ai l’impression que je ne suis pas la seule à mal le vivre. Encore que moi j’ai seulement dit au revoir à mon short de pupute. Mais la rentrée, ça fait surtout mal aux couples. Et ouais, c’est la loi des vacances ça. Y’en a pas mal qui n’ont pas passé le cap de l’été.
C’est la rentrée des célibataires, bitch ! Allez, faut que ça tourne aussi, fais péter le nouveau cru.
Sauf qu’il y en a qui pour qui c’est un peu compliqué.
L’autre soir, je passais par la place des Tiercerettes et voilatipas que le périmètre était quadrillé. Pompiers dans tous les sens, flics et tout le tremblement. Y’avait même la grande échelle de sortie, juste sous les fenêtres du Breughel.
Faut savoir que le Breughel, c’est un peu comme la maison de ma tata. Il a toujours été là ce bar. Comme un refuge. Y’a rien qui change dans ce rade depuis des décennies. Ni les serveurs, ni la playlist, ni les olives gratis. Quand je me sens un coup de cafard, je vais faire un tour au bar et je renifle l’odeur du comptoir. Comme certains avec les madeleines par exemple. Ils sniffent un coup les petits gâteaux et ça leur rappelle leur mamie, leur enfance à courir dans les prés et la corde à sauter. Moi, c’est le Breughel. Quand je respire cette odeur de transpi aux rhum, ça me fait remonter des souvenirs de cuites et de bites, j’en suis toute nostalgique.
Bref.
Donc, quand j’ai aperçu le périmètre de sécurité devant MON bar, j’ai paniqué. Je me suis préparée au pire et j’ai commencé à respirer par la bouche, en hyper ventilation. J’ai vu ça dans un film un jour, je sais pas trop à quoi ça sert, mais dans le doute.
Ils avaient foutu des rubans rouge et blanc le long des trottoirs, mais n’avaient pas évacué la place, de sorte que les gens continuaient à vaquer à leurs occupations, alors que l’ensemble des forces de sécurité de la ville étaient mobilisées sur le trottoir en face.
Je m’approche, me cale au milieu de la foule et je suis le regard des gens. En tant qu’ancienne journalope, je me régale de ce genre d’événements. Une grosse fouinasse, ouais, on peut aussi le dire comme ça.
J’aperçois la scène. Au premier étage, une fenêtre est ouverte, y’a de la lumière. Et y’a une silhouette qui fait des va-et-vients. Je questionne le public.
– Il se passe quoi là ?
– Ben, on sait pas. Un mec qui veut pas descendre.
– Ah. Et, il est attendu ?
– Il aurait tapé des gens.
– Comment tu sais ?
– Chais pas. J’ai entendu ça.
La rumeur court. Chacun y va de son commentaire. Quand soudain la silhouette réapparait à la fenêtre. Il brandit un truc. Putain de sa mère, c’est un opinel. Le mec mobilise tous les pompiers de la ville pour un attentat à l’opinel.
Personne n’a l’air stressé. Normal. Tout le monde attend de voir ce qu’il va foutre de son opinel. Il a l’air complètement déchiré. Il tente de faire des doigts d’honneur, mais dans l’ombre du réverbère, on les confond avec le couteau suisse.
Une nouvelle venue dans le public me questionne.
– Il se passe quoi là ?
– Y’a un mec qui a tapé des gens.
– Parce que sa copine l’a largué ?
– Quoi ? Chais pas. T’as des infos ?
– À c’qu’on m’a dit, sa copine l’a tèj et il veut se suicider.
– À l’opinel ?
Je fais passer l’information au groupe qui m’avait informée en première instance. Dans ce genre de moment, y’a une espèce de solidarité qui s’installe entre les gens. C’est un peu l’ambiance colo, on se fait des vannes et on rigole. Les informations sont partagées avec générosité, et le groupe se plait à commenter allègrement ces nouvelles révélations.
– Aaaaaah mais c’est pour ça qu’il a tapé des gens !
– Ben ouais, wallah, elle l’a sûrement largué comme une merde.
– T-t-t-t-t. C’est pas une raison pour appeler les pompiers franchement. LÂCHE TON OPINEL FRÈRE, ON EST AVEC TOI !
C’est à ce moment là que les pompiers tentent une offensive. Ils placent la grande échelle devant la fenêtre pour empêcher le suicidaire à l’opinel de se jeter sur le trottoir et commencent à enfoncer la porte de l’appartement.
Puis plus rien. Pas un cri. Pas un bruit de lutte. Rien. Tout se passe dans le calme.
Ils redescendent le type. L’opinel a disparu du radar. La grande échelle est repliée. Sauf qu’au moment de la recaler sur le camion, elle s’accroche à l’arbre et casse une branche.
– OOOOH ET L’ENVIRONNEMENT HEIN ! ET NICOLAS HULOT ?! hurle un jeune parmi le public.
Il tente d’exciter la foule, d’énerver les flics, de redynamiser tout ça quoi.
Il fait un flop, évidemment.
Ben ouais, mais les gens sont déçus quoi, faut les comprendre. Ils cherchent de l’action désespérément. On a cru un moment qu’on allait nous servir une alerte à la bombe mais non. Le mec n’est pas foutu d’ambiancer la place avec son opinel. Pas foutu de se tailler le bras pour sa meuf. Merde mais en Corse, ils auraient déjà sorti la kalach’ les gars !
Putain, qu’est-ce que c’est chiant la rentrée.
Chiantise profonde de la rentrée.
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