
© Vincent Galy
Je ne sais pas à partir de quel âge on est considéré comme adulte. Je me suis toujours posée cette question.
Je viens pourtant de passer le cap des 32 ans. Mais je n’ai toujours pas assimilé l’information. Donc moi, en fait, normalement, si on considère mon âge, il y a de fortes chances pour que je sois une adulte.
Putain la blague.
Sauf que l’autre jour, j’ai découvert un truc. Je pense que tu n’es pas adulte tant que tu n’as pas participé à une assemblée générale de copropriétaires. Ouais. Déso les pauvres, vous êtes voués à rester des êtres immatures jusqu’à la fin de votre existence. Laissez les grandes personnes s’asseoir dans le métro un peu.
Ça fait un moment que je suis proprio. Ouais, sans faire exprès, vous emballez pas. Je n’ai jamais eu les fonds pour acheter un canapé hors Emmaüs, alors un appart, faut pas rêver. Mais j’ai hérité et je me suis retrouvée propriétaire. Sauf que j’avais tellement la flemme d’aller dans ce genre de machin. Et je ne me sentais pas du tout concernée par ce genre de réflexion. Doit-on refaire la devanture de l’immeuble ? Faut-il changer le boitier à sonnette ? Rien à taper. Dites-moi à qui je fais le chèque et laissez-moi en paix.
Sauf qu’il y a peu, on a fait face à un énorme bug dans le système. Moi, qui ne me souciais en rien de la vie de l’immeuble, j’ai été obligée de m’intéresser.
Les gars ont commencé des travaux sur le parking derrière la barre d’immeuble. Ils ont fait des énormes trous bien sales. À ce jour, je n’ai toujours pas compris l’utilité du bordel. J’ai entendu le mot colonne. Puis mises aux normes, et mon cerveau s’est débranché. Cette information n’avait aucune utilité, j’ai choisi de ne pas faire les connexions. J’ai dit que je m’intéressais, mais on y va tout doux quand même, je ne vais pas d’un seul coup me prendre de passion pour le bilan comptable du syndic.
Toujours est-il qu’ils nous ont foutu un beau merdier derrière l’immeuble.
Après, moi, le merdier, ça me fait pas peur. J’ai même une attirance pour ça. Là, n’est pas la question.
Mais, comme ça, alors que j’avais pris l’habitude de mater l’ouvrier trafiquer les cailloux sous ma fenêtre, ouvrier qui par grand délice s’est révélé être la réincarnation toulousaine de Khal Drogo, cet être mi homme mi cheval mi dieu de Game of Thrones, voilà, comme ça, d’un coup d’un seul, Khal n’est pas revenu. Il m’a plantée là. Seule avec mes dragons. Et a laissé ce trou béant sous ma fenêtre.
J’ai mis quelques semaines à commencer à m’affoler. Est quand même arrivé un moment, où je me suis dis, tiens, il a l’air de se passer un truc pas normal, parce que des trous de 3 mètres de profondeur tout le long de l’immeuble, je crois pas que c’était prévu dans le budget. Et où est Khal d’ailleurs, reste quand même un beau tas de cailloux à trifouiller.
Je farfouille dans mes mails. Dans mon courrier. Ceux qui ne sont pas ouverts depuis des mois, gisant sur un coin de bureau, entre relances de factures et informations sur la mise aux normes de colonnes. Et là, je découvre qu’il y a embrouille.
Mais genre, méga. grosse. embrouille.
Comme je sens que j’ai pas une grosse masse de propriétaires dans mon lectorat, je vous fais un petit topo rapide de comment ça se passe la vie chez les adultes.
L’ensemble des propriétaires d’un immeuble se rassemblent, parce qu’ils sont bien obligés (sauf moi apparemment), en copropriété. Généralement, ces gens payent un syndic pour s’occuper de la compta pour les trucs à faire et à payer dans les parties communes de l’immeuble. Généralement, ces gens payent cher. Généralement, ces gens se font enfler. Mais toujours en mode tranquille, je t’encule mais j’y vais doucement, avec max de lubrifiant.
Sauf que là, on s’est fait enculer à sec.
En gros, on a voté des travaux pour un devis à 30 000 euros. L’entreprise en réclame 100 000 de plus pour aller au bout du chantier. Et apparemment, notre syndic aurait donné son accord sans faire exprès.
J’ai enregistré l’information. Sans trop paniquer. Mais c’est là que la guerre froide a démarré. Les gens ont commencé à s’énerver, à envoyer des mails, à faire tourner des pétitions pour contrer l’enculade. Et donc, quand j’ai reçu cette invitation à participer à l’AG des propriétaires afin de voter pour ou contre le renvoie du syndic en place, je me suis dit, c’est maintenant ou jamais bébé, la sodomie c’est sympa, mais faut quand même être consentent, va voter.
Jour J. Ambiance électrique dans la salle. On est une quarantaine. Comme à l’école, je m’assoie au fond, sur la table en mode rebelle, puisque je suis évidemment la dernière, et qu’il n’y a plus de chaises.
Les gens sont tendus. En fait, la plupart sont assidus et se fadent des réunions de copropriétaires ensemble depuis belle lurette. Ils se connaissent un peu donc. Un gars en costard, type vendeur de tapis cheveux gominés, représente le syndic enculeur. Tout le monde est ultra remonté. Et ça part en vrille.
– Vous essayez de nous faire croire que le remboursement des 100 000 euros c’est un cadeau, mais vous étiez obligés de payer ! C’est de l’argent que vous nous avez volé !
– Monsieur, je n’accepte pas ce genre de langage, répond gomina, je ne souhaite plus débattre avec vous. Cet argent je peux le reprendre demain, menace le sodomite.
– Voilà super, on est dans la cour de récré ou quoi. Je vous dis juste que vous AVEZ FAIT UNE ERREUR ! UNE GROSSE ERREUR, C’ÉTAIT À VOUS DE PAYER !
– CE N’EST PAS LEUR FAUTE ON TE DIT, ON AURAIT DÛ S’APERCEVOIR DE L’ERREUR AUSSI !, lui gueule un coproprio qui a apparemment vendu son âme au capitalisme.
– Qu’est ce que ça change…
– LAISSEZ PARLER TOUT LE MONDE ! s’excite un petit vieux au premier rang
– J’AI LES PREUVES QUE LE 15 DÉCEMBRE NOUS AVIONS ENTRE LES MAINS UN DEVIS À 30 000 EUROS ! gueule un autre.
Les gens se parlent tellement mal, j’ai rarement vu un tel niveau de haine entre de parfaits inconnus. Chacun y va de son excitation, et beaucoup sont complètement à côté de la plaque. On est totalement en roue libre.
Je n’étais pas du tout préparée à ça. Et pour tout vous dire, je suis en gros kiffe. Il se trouve que j’ai rendez-vous ce soir là pour mater le dernier épisode de Game of Thrones. Mais autant vous dire que y’a plus d’action à l’AG des copropriétaires que dans le dernier épisode de GOT.
Cette situation m’excite complètement et j’ai moi aussi envie de pousser une gueulante, là pendant l’AG, juste pour le plaisir, pour me sentir adulte, me sentir grande, me sentir femme, me sentir mature.
Quand vient le tour de parole pour ou contre le renvoie du syndic, je n’y tiens plus. Il y a clairement deux clans. Ceux qui veulent la révolution et veulent virer les enculeurs. Et ceux qui ont peur de changer, parce que malgré l’enculade, ben quand même ils connaissent le dossier, et quand même maintenant qu’ils nous ont bien enculés, ils vont se tenir tranquille, on les a menacés de les quitter, ils ont peur, ils vont être gentils, oh et puis gomina il a l’air sérieux hein, et gentil quand même, je crois qu’on peut lui faire confiance.
C’est à ce moment que j’explose, je me suis même entendue gueuler « MACRON DÉMISSION « . Je retiens de justesse « un tout le monde déteste la police » parce que je sens que je vais me faire tej de l’AG, mais je finis par un « LIBÉREZ KHAL DROGO » complètement hors contexte.
On a voté. Les révolutionnaires à gauche, les réacs à droite.
On a gagné.
Putain pour une fois que la gauche passe, j’espère qu’on va pas se faire baiser. Parce que, quand elle a dit : « qui vote pour le changement ? » et que j’ai levé la main, j’ai eu un moment de doute. Le changement, c’est maintenant…
Tiens, mais, attends attends. On s’était pas déjà fait enculer avec ça aussi ?
Je ne sais pas si je suis ressortie de cette AG plus mature, en tout cas, c’est pas demain que j’arrête de me faire baiser si j’ai bien compris. Toujours est-il que je me suis sentie responsable.
Peut-être suis-je devenue adulte finalement. L’autre jour, j’ai même appelé les encombrants pour leur refiler mon vieux frigo pourri, au lieu de le laisser choir comme une vieille croûte sur le bord du trottoir en face de chez le voisin. Je me suis trouvée hyper responsable sur ce coup-là, mature et tout. Je l’ai quand même trainé devant chez le voisin. Et là, y’a quoi ? Le voisin en question ose m’interpeler et m’engueuler. J’étais choquée par tant d’audace.
– Mec, j’ai appelé les encombrants ! que je lui balance fièrement à la gueule.
– Je m’en branle, vous mettez ça devant chez les gens, vous gênez le passage, et c’est dégueulasse et tout ça, qu’il me bave de sa fenêtre.
– Et bien, va niquer ton père, que je lui ai répondu responsablement.
Oui, y’a pas de doute. Je crois que je suis adulte.