Expatriation Corse

Je m’expatrie trois mois en Corse cet été. Ça va, faites pas la gueule, je continuerai à écrire et je vous raconterai à quoi ressemble le soleil.

Mais la Corse, c’est quand même une destination chelou. Quand tu fais le voyage, tu sais pas si t’as besoin de ton passeport ou si tu peux passer avec une tarte aux abricots en guise d’offrande.

Rien que le trajet en bateau, tu sens que tu t’apprêtes à vivre une aventure particulière. Déjà, Corsica Linea, le jour du départ, ils se sont foutus à m’envoyer des messages frénétiquement tous les quarts d’heure. J’étais au bord de la crise de nerf. J’ai reçu 35 fois la même information, soit 20 mails et 15 textos, pour me dire que la sécurité était renforcée. J’avais l’impression de passer en Corée du Nord.

Je partage avec vous cette information de premier ordre. Je cite : « renforcement sûreté, pièce d’identité obligatoire pour tous les passagers ». Mesure de choc quoi. Gros plan vigipirate en perspective. Je sais pas comment ils vivent depuis les attentats ces mecs-là, mais je suis curieuse de voir comment ça se présente quand la sécurité est minimale. Cela dit, j’ai pris ma carte d’identité et laissé tomber l’idée de faire une tarte.

Donc, j’arrive à Marseille pour prendre mon ferry. Je sais pas si vous avez déjà tenté l’aventure mais mieux vaut prévoir deux ou trois jerricans d’essence en supplément. Parce que t’es partie pour poireauter en mode contact pendant trois plombes.

C’est à ce moment-là que les choses deviennent sérieuses. La sécurité est renforcée on t’a dit. T’as des gonzes partout, postés tous les trois mètres comme si tu pénétrais dans le Pentagone. Sauf que t’as juste besoin de ta carte d’identité quoi. Les gars sont juste là au cas où tu n’aurais pas compris que le chemin à suivre, c’est là où y’a pas de grillage. D’un coup, t’es dans l’ambiance.

Avancez jusqu’au portikch de sécurité.

À Marseille, les « que » ne se prononcent pas comme dans le reste du pays. Portique devient portikch.

Une fois arrivée avec ta caisse dans la cale du bateau, le sud commence à se faire sentir sérieusement. Ça se met à refouler la testostérone sévère. Tu te fais engueuler à tout va, et les mecs aux gilets jaunes braillent des instructions incompréhensibles pour que tu gares ton bordel efficacement.

À DROITE AU FOND À GAUCHE ENCORE AVANCE ENCORE LÀÀÀ ENCORE Y’A DE LA PLACE AVAAAAAAAANCE ENCOOOOORE J’AI DIT N’AIE PAS PEUR PAS DE PANIKCH

Et voilà, merde, ça y est, ça commence. Le mec censé me donner les instructions m’a repérée. Une nana seule au volant. Il en oublie son rôle d’agent du Pentagone et me claque un clin d’œil du genre on a des cousins communs. Il se colle à ma fenêtre.

Chaaarmaaaaante ! qu’il me dégueule le bras sur la portière.

– Mon multipla ? Il est beau hein !

(Oui, voilà, j’ai oublié de vous dire, cet été, je roule en Multipla. De la famille Fiat. Oui, c’est moche, mais je l’aime. D’ailleurs, son nom n’est pas hyper sexy non plus. On a vraiment l’impression que ses créateurs n’avaient aucune intention de vendre le produit. Z’ont dû se faire un trip après un gros pétard. Sauf qu’yen a un qui avait pas compris et le Multipla s’est retrouvé à l’usine. D’ailleurs, ça ne se fait plus ce genre de bestiole. C’est bien la preuve que ce n’était pas au programme. Bref, dorénavant, le Multipla répond au nom de Kévin. C’est tout aussi moche, mais ça lui va bien. Et pardon à tous les Kévin de la terre, ça doit déjà pas être facile, mais enfin, ce n’est pas de ma faute si vous avez un prénom de Multipla.)

Donc, l’agent double finit par me filer rencard le lendemain à l’arrivée du bateau. Comme si je n’attendais que ça, au volant de Kévin, trois tonnes cinq d’affaires dans la malle. Il est donc surpris quand je décline cette proposition plus qu’alléchante. Et il part vexé comme un chiard de 7 ans à qui on a interdit de jouer dans l’eau.

Le ballet de la drague lourdingue ne fait que commencer. Dans un des hall du ferry, un jeune Corse entreprend une jeune étrangère, qui ne comprend pas un mot de français.

You are cabine or siège?

– Hein? What?

– You are seat, là, regarde là, ÇA, it’s a seat. Seat or CABINE? To sleep? Fais voir ton ticket ! Yes, no. You are seat. No cabine. But I have a cabine.

– Hein ? What?

– Come to sleep with me. I have a cabine. Ok ?

– OK… But… What?

Après 10 heures de traversée, vient le moment d’accoster. La Corse apparaît, dans la lumière du soleil levant. C’est là que Joe la manœuvre fait son apparition. Le saviez-tu ? Un mec est payé uniquement pour faire les créneaux du ferry. Il arrive sur son petit bateau à moteur, et tel James Bond, se jette dans le paquebot en face. Même entreprise au départ. On a vu un gonze se défenestrer en quittant le port. Il nous faisait de grands coucous, comme si on avait payé pour un spectacle du cirque du soleil. C’est là que j’ai appris l’existence de Joe la manœuvre. Je me demande pourquoi le capitaine ne passe pas le diplôme de créneautier, ça serait quand même plus simple. Mais personne ne semble avoir la réponse à cette question.

C’est le moment de faire ses premiers pas sur le sol corse. Si tu t’attends à une ola, tu vas être déçue. Les bateaux dégueulent des centaines de touristes plusieurs fois par jour. Tu n’es donc pas vraiment attendue par les autochtones, c’est le moins que l’ on puisse dire.

-Non mais tu vas voir. Les Corses sont vachement accueillants, c’est juste que ça ne se voit pas tout de suite, qu’on me confie après mon arrivée et alors que je commence à être en manque de chaleur humaine.

Expérience typique corse. Je veux passer dans une petite ruelle à sens unique avec Kévin. Je m’engage. Je suis déjà au trois quart de la rue quand surgit une voiture en face, avec au volant, un grand Corse velu, qui agite, va comprendre pourquoi, une canne en l’air comme s’il s’adressait à un troupeau de chèvres. Le conducteur me fait comprendre qu’il ne reculera pas.

Il me regarde.

Je le regarde.

On se regarde.

Putain de Corse. J’ai un Multipla. Je suis immatriculée 47. Je capitule.

Sauf qu’au moment de faire ma manœuvre, le levier de vitesse se déboîte et me reste dans les mains. Pour couronner le tout, je cale. Et tout ce cinéma face à une horde de Corses attablés au bar, en face de la scène d’action.

Et ça, à 20 mètres de la maison où je crèche. Je suis donc fichée touriste cassos +++ pour le reste du séjour.

J’avoue, j’ai un peu peur de prendre un coup de chevrotine. Parce que le Corse nourrit une passion pour le fusil, faut quand même garder ça en tête. L’autre jour, j’ai demandé mon chemin à un type. Il m’indique un truc à grand coup d’accent mafieux. Au moment de repartir, ma copine Suzette sur le siège passager, me dit :

Lola, il nous a dit de prendre à
à gauche mais le GPS indique à droite…

– CHUUUUUUT malheureuse ! Tu veux nous faire assassiner ?! Provoquer un attentat à la bombe ? Quand un Corse te dit à gauche, tu vas à gauche nom de dieu !

Voilà, ils te regardent en coin comme ça. Tu sens que tu n’as pas le droit à l’erreur. Et puis finalement, un jour, tu bloques Kévin dans un parking. Tu te dis que c’est vraiment un connard de Multipla et tu maudis la famille Fiat sur sept générations, quand soudain. Un Corse velu se radine et vole à ton secours. Et il va même jusqu’à complimenter Kévin.

On va bien s’entendre j’ai l’impression.

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