
Vincent Galy
J’étais tranquillou, là, à barboter dans cette eau translucide. Ce jour-là, pas de chichi. L’eau est chaude, le soleil tape et personne autour pour me faire chier.
Tout me sourit, et j’ai confiance en la vie. Ni une ni deux, je me fous à poils et me jette dans l’eau scintillante. C’est le moment de la nage effrénée. Cet instant hebdomadaire où je me dis.
Allez Lola. Pense cul. Pense maillot de bain. Pense queen B. Tu vas jusqu’au rocher en papillon et tu reviens en dos crawlé. Hop.
Inutile de préciser que je ne sais pas nager autre chose qu’une brasse molle, le cou bien tendu en dehors de l’eau parce que je n’ai aucune notion de la respiration du poisson. Du coup, je me lance, mi en brasse, mi en planche de temps en temps parce que faut bien se reposer, on n’est pas des cachalots.
Quand soudain.
AAAAAHOOOOHIIIII AiiiiiiE SA RACE DE COQUILLAGE Y’A UN TRUC LÀ !
Décharge électrique. J’ai un machin gluant géant collé au jambon. Je hurle sa mère. Et entreprend de secouer la jambe pour me débarrasser de l’intru qui mesure au moins 15 centimètres.
Ma vie défile devant mes yeux alors que le temps semble suspendu. Je repense à tous ces moments passés avec ma jambe. Les sauts à la corde à sauter en CE2, ces twists endiablés sur la piste de danse, et ce jean qui me va si bien et qui serait vachement moins sexy sur une seule patte. Puis me revient en tête cette tendinite au tendon d’Achille, et cette allergie à la piqûre de taon …
MERDE ma jambe gauche est MAUDIIIITE !
Je me ressaisie à temps avant de suivre la lumière au bout du tunnel. Putain, j’ai vraiment mal, j’ai l’impression de m’être fait bouffer la cuisse. Toujours en beuglant, je me rue vers la plage. Je n’ai jamais nagé aussi vite de ma vie. Le monstre géant me poursuit sûrement, je n’ose pas regarder dans l’eau et je cherche à garder mon corps au maximum en surface. Sauf que ma patte folle me fait faire n’importe quoi. C’est vraiment la débandade et je ne me souviens plus quelle est l’astuce pour ne pas couler. J’avance de trois quart profil en battant des jambes, mi en mode chien, mi en technique du canard.
Mes potes commencent à s’inquiéter de me voir gesticuler de la sorte dans une eau où j’ai pied. Ils pensent à une attaque de requin blanc.
– Qu’est ce qui se passe Lola ? T’as une crampe ? T’as vu une moule ?
Le fait de gueuler pour le moindre événement dans la vie courante ne m’aide pas dans ce genre de situation. Un peu comme l’histoire de Pierre qui criait au loup. Quand je braille pour un truc qui en vaut la peine, plus personne ne me prend au sérieux.
– C’EST UNE PUTE DE MÉDUSE CORSE ! ABATTEZ-LA ! que je hurle à leur intention.
J’ai à peine entrevue la bête collée à mon cuisseau mais je sais d’instinct que c’est une méduse. Je ne me suis jamais fait attaquer par ce mollusque auparavant mais ma génétique est en alerte et mon instinct animal ne laisse aucune place au doute. Mes ancêtres ont déjà affronté des batailles avec cet animal marin, mon corps le sent et me pousse à hurler à l’assassinat.
– Mais t’hallucines Lola, y’a pas de méduse ici. me rétorque calmement Suzette alors que je tape le sprint de ma vie avec force éclaboussements.
– ET LA GÉNÉTIQUE ALORS ?! MES ANCÊTRES SONT MORTS À LA GUERRE ET C’EST COMME ÇA QUE TU PARLES ?
Elle a de la chance d’être si près de l’ennemi, sinon j’aurais nagé la brasse de profil jusqu’à elle pour lui parler respect des anciens.
J’arrive enfin sur la plage. Je ne suis pas au bout de mes peines et je me galère sur les galets en clodiquant. Je finis par me jeter au sol, traînant ma jambe blessée derrière moi.
Sur le sable, mon pote Fredo me réceptionne. Il me scrute la cuisse et confirme mon diagnostic.
C’est bien une morsure de méduse.
À ce moment là, tout le monde comprend (enfin) la gravité de la situation. Et comme dans toute situation d’urgence, les gens se mettent à dire ou faire n’importe quoi.
Suzette gueule qu’il faut que je me pisse dessus. Un autre lui crie que c’est une légende. Un troisième évoque un documentaire Arte sur la vie des anguilles de mer. Et Fredo se met à me frictionner la plaie avec un caillou.
Oui, un caillou. Là, je me dis que je suis baisée, s’en est fini de ma jambe. Si le seul remède qu’on a sont les cailloux, je suis bonne pour l’amputation.
Je garde un peu de dignité et me retiens de l’insulter. Je le laisse me gratter avec cette pierre inutile, le mal est fait.
Une énorme boursouflure apparaît. J’envoie la photo de ma blessure de guerre à quelques amis histoire de me faire plaindre. Mais tout le monde s’en branle. Le fait que je sois dans un cadre de rêve en Corse annule tout sentiment de compassion apparemment.
On me répète qu’il est inutile de s’uriner dessus alors que je n’avais aucune intention de le faire.
Mais personne pour s’inquiéter de mon sort.
Voilà. Je meurs dans l’indifférence générale.
Bon. Je suis toujours en vie mais quand même, c’est pas passé loin.
Si l’eau est translucide, il vaut mieux ne pas s’y baigner, c’est le Yang-Tsé. Translucide, ça veut dire que la lumière passe vaguement au travers.
Transparente ça peut aller. Claire c’est mieux. Limpide c’est en Corse. Pure c’est dans les labos de chimie.
Avec des coeurs girlies !
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