
Monopoly, le jeu du désespoir
On a beau être cinq et vivre dans une maison pleine de jeux de société, on commence à tourner un peu en rond niveau activités.
L’autre jour, on s’est laissé aller à faire des concours d’apnée, c’est vous dire où on en est rendu. Je sais pas qui a eu cette idée de con, mais tout à coup, on s’est tous foutu à se chronométrer autour de la table de la cuisine. Quelqu’un a dit que le record était de 10 minutes, et là, ça a créé un mouvement de panique et nous voilà en train de vouloir absolument tester notre capacité à arrêter de respirer. Tout ça après un hachis parmentiers.
Le pire, c’est qu’on était vraiment dans le game. Deux par deux, top chrono, sinon ça marche pas. La compet’, y a que ça qui fait tenir le monde. Je lâche pas tant qu’il ne lâche pas, il lâche à la seconde où je lâche, c’est évident. J’ai fait 47 secondes. Ça m’a semblé honnête si on considère les conditions.
Voilà.
Puis hier, on savait plus trop. Y a quelqu’un qui a proposé un Monopoly. Comme ça, sans trop y croire. Et puis, sans trop vraiment donner notre consentement, on s’est laissé aller.
Je pense que je n’avais pas touché à ce jeu depuis mes 10 ans. J’en gardais une sensation d’inutilité et de perte de temps. Mais, je me suis dit, si je retente pas un Monopoly pendant le confinement, je mourrais probablement sans y avoir rejoué. Est-ce vraiment grave, je n’en suis pas sûre. Mais le confinement nous fait faire des choses étranges.
Qui sait, peut-être que c’était d’un ennui absolu parce que je ne savais pas compter correctement. Alors que maintenant, ben euh, ah mais non, c’est pas beaucoup mieux, d’ailleurs, je me suis auto diagnostiquée dyscalculique, un genre de dyslexie des chiffres, ce qui me permet de ne pas passer pour une grosse quiche en société. Quand quelqu’un me prend en flag en train de galérer sur une addition, je balance la dyscalculie, et là, dans le doute, l’humain taquin ferme sa grande gueule, parce qu’il ne sait pas si c’est une maladie génétique ou une invention de qualité supérieure.
Nous voilà donc lancés dans une partie de Monopoly spécial Toulouse. Déjà, je prends le chapeau comme pion. Nul. Mauvais choix. Il ne faut ni prendre le chapeau ni le fer à repasser. J’ai oublié tous mes réflexes de joueuse aux jeux de merde. Le chapeau, c’est trop de la daube, t’arrives pas à le pécho correctement avec tes doigts, j’étais énervée au bout de deux tours.
Après, on nous apprend qu’en fait, le truc de mettre ses impôts et taxe de luxe au milieu du jeu et de rafler la mise quand tu passes sur parc gratuit, c’est pas une vraie règle. Genre, les gosses du monde entier se sont passé le mot, mais en vrai, c’est pas du tout prévu par le jeu. Donc, merci pour l’ambiance de merde pour démarrer, c’est la banque qui prend tout le fric qui traine.
Ensuite, faut avoir l’âme commerciale pour jouer à ce machin, c’est pire que la bonne paye. C’est vraiment le jeu du démon ce bordel. Le capitalisme pour les nuls. Et t’as pas intérêt à flancher parce que tu te fais bouffer en trois secondes. Faut acheter le plus de terrains possibles. Tu lâches rien. Tu tombes sur la gare Matabiau, t’achètes. Tu tombes sur l’avenue de Muret, t’achètes. L’eau et l’électricité, T’ACHÈTES. Parce que si tu n’achètes pas, tu te fais acheter.
Et comme une conne, j’étais en train de gentrifier le quartier Saint-Cyprien. J’ai foutu des maisons partout, un vrai carnage. Stratégiquement, j’étais pas trop mal. J’avais les allées Jean Jaurès, les Chalets et le pont des Demoiselles. Pareil, j’ai fait construire dans tous les sens.
Mais, il arrive un moment où tu peux plus sortir de chez toi. Y a des mecs qui foutent des hôtels partout, c’est l’angoisse. Faut aligner des loyers qui te coûtent plus cher que ton salaire, y a des tours, j’étais heureuse de me faire foutre en prison tellement j’avais peur de la banqueroute.
On s’est fait éclater par Juju. Il avait acheté tout le quartier Saint-Etienne, et il a mis des hôtels partout. Il a même fait construire le premier gratte-ciel de Toulouse à Marengo. C’était l’angoisse, ils nous a tous tués à coup de gros billets.
Heureusement que c’est pas la vraie vie, le Monopoly.